Sécurité et défense : le chef de l’État pourra-t-il tenir ses promesses dans les régions anglophones ?

Lors de son discours d’investiture, le président de la République Paul Biya a réaffirmé son engagement à ramener la paix dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest en proie à des violents conflits armés depuis plus d’un an. Suite à cet engagement, le Chef de l’Etat a ordonné le 13 décembre 2018 la libération de 289 prisonniers détenus dans le cadre de la crise anglophone, après avoir signé le 30 novembre un décret créant le Comité National de Désarmement de Démobilisation et de Réintégration (CNDDR). Ces deux initiatives suffiront-elles à ramener la paix au Nord-ouest et au Sud-ouest (NoSo) ?

Plus de deux ans de troubles

C’est en fin 2016 que ce qui allait devenir un conflit armé commence. Au début, il s’agit de revendications corporatistes. Les avocats ouvrent le bal par un mouvement de grève lancé en fin octobre. Ils réclament entre autres la traduction en anglais de l’acte uniforme de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA), du Code Cima (Conférence Internationale des Marchés d’Assurance), de la réglementation de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac). Ils exigent également la mutation des magistrats incapables de s’exprimer en anglais.

En fin novembre, les enseignants leur emboîtent le pas. Ils dénoncent la « francophonisation » de l’éducation anglophone avec les affectations de plus en plus récurrentes d’enseignants issus du sous-système francophone dans des écoles purement anglophones. Le mouvement dégénère et les revendications s’étendent, s’intensifient. Désormais il est question de changement de la forme de l’État, avec en arrière-plan des menaces de séparation.

L’armée s’en mêle, croyant résoudre le problème en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. C’est le contraire qui se passe. La désobéissance civile entre en jeu, et bientôt des groupes armés se constituent dans les deux régions anglophones. Le conflit s’enlise.

Les solutions du gouvernement

Depuis 2016, le gouvernement a mis sur pied un certain nombre de stratégies pour résoudre le problème. Des commissions ont été créées, des fonctionnaires mutés conformément aux exigences des corporations, des tentatives de négociation faites. Sans succès.

Aujourd’hui, les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest sont des champs de guerre. De nombreux villages ont été incendiés, et on dénombre des dizaines de milliers de réfugiés et encore plus de déplacés internes, sans oubliés les morts et les populations qui vivent terrées dans les forêts.

Il devient urgent, malgré l’extrême militarisation de la zone, de trouver une autre solution, le temps ayant prouvé que l’intervention armée ne suffirait pas. C’est dans ce contexte qu’est créée la Commission Nationale pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme (CNPBM) dont le bilan est jusqu’aujourd’hui mitigé – leur fait récent le plus retentissant, c’est peut-être la cérémonie de remise de médailles durant laquelle certain membres de la commission ont été décorés, et la récente journée de réflexion sur le vivre ensemble organisée le 11 avril 2019.

Dans la cadre de la campagne électorale, le président, qui s’est décrit comme un « mendiant de la paix », s’est engagé à ramener la paix dans les régions anglophones. C’est dans cette optique qu’il a créé le 30 novembre 2018 le Comité National de Désarmement, de Démobilisation et de Réintégration (CNDDR), et qu’il a ordonné le 13 décembre l’arrêt de poursuites et la libération de 289 personnes arrêtées dans le cadre de la crise anglophone.

« Main tendue » et ultimatum

Si le Président a « tendu la main » aux sécessionistes en leur permettant de déposer les armes pour regagner la vie civile dans leurs différentes communautés, il n’a échappé à personne qu’il a clairement donné un ultimatum à ceux qui n’allaient pas saisir la perche qu’il a tendue. Dans le discours du 31 décembre 2018, le président a clairement annoncé le sort peu envieux qui serait réservé aux « entrepreneurs de la guerre » qui s’entêteraient : l’ordre sera donné de les neutraliser.

Du coté des sécessionistes la réponse à la « bonté » présidentielle est aussi claire que l’ultimatum de ce dernier : la libération des 289 prisonniers (sur près de 2.000 détenus d’après certaines personnes) parmi lesquels aucun des leader (Ni Mancho Bibixy, ni Sisiku Ayuk Tabe etc), reste de la provocation. En conséquence, les combats, a promis le porte-parole des Ambazonia Defense Forces (ADF), vont s’intensifier.

La création du CNDDR n’a pas eu plus de succès : environ une semaine après sa nomination au poste de chef de centre de désarmement, démobilisation et réinsertion pour le Nord-ouest, le domicile de Gabsa Nyagha Sixtus a été incendié par des individus non identifiés, vraisemblablement pour envoyer un message clair à ce dernier : l’initiative du président n’était pas bien accueillie.

À ce jour, seuls quelques combattant de Boko Haram dans l’extrême-nord du pays se sont rendus. En revanche, la violence et l’insécurité se sont installées encore plus profondément dans ces deux régions

L’intensification de la crise

La crise anglophone, au fil des jours, semble s’aggraver. Il y a encore quelques mois, c’est le village Bangourain dans le département du Noun, région de l’Ouest qui a été le théâtre d’attaques attribuées aux sécessionistes venus du Nord-ouest limitrophe. Quelques jours après, deux présumés sécessionistes ont été arrêtés et molestés et exécutés par les populations en colère. Les jours suivants, par peur de nouvelles attaques ou de représailles, plusieurs habitants de Bangourain ont préféré quitter le village pour les villes et villages voisins.

Les incursions à Bangourain, si elles sont effectivement le fait de séparatistes, ne sont pas les premières en zone francophone. Avant cela d’autres villes ou villages avaient déjà été le théâtre d’attaques ou d’incursions. C’est le cas de Fongo-Tongo dans la Menoua qui a subi des attaques le 1er octobre 2017 et plus récemment en mai et en juillet 2018. Dans les régions anglophones proprement dites, les combats n’ont pas baissé en intensité, et il y a peu le gouverneur de la région du Nord-ouest s’est fait attaquer.

En effet, les combattants sécessionistes semblent avoir élargi leur champ d’action. Désormais, ils ne s’attaquent plus principalement aux autorités administratives, et à l’armée. Ces derniers mois deux personnalités ont été enlevées notamment le bâtonnier Me Akere Muna et, il y a quelques jours, le chairman du Social Democratic Front (SDF), John Fru Ndi, a brièvement été enlevé. Quelques temps avant lui, c’est la bâtonnier Akere Muna qui échappait à une tentative d’enlèvement.

En outre, les violences exercées sur les hommes en tenues semblent avoir grimpé d’un cran : il y a quelques jours encore, les dépouilles de deux soldats avaient été retrouvées démembrées et décapitées puis jetées sur la voie publique. À vrai dire, tout porte à croire que l’autorité de l’État central est sérieusement mise à mal dans ces deux régions.

Quelle solution pour la paix au NoSo ?

La résolution de la crise anglophone se fera en deux étapes obligatoires : tout d’abord il faudra le retour au calme dans les deux régions concernées. Pour cela, les deux parties doivent faire des concessions. Un dialogue est donc impératif, indispensable, inévitable même, étant donné que le retour au calme ne se fera que via des négociations.

Ensuite, il faudra obligatoirement questionner le problème de fond, la cause de la crise. Et y apporter les solutions appropriées. Un simple retour au calme n’aura pas résolu le problème. Dans le meilleur des cas, ce sera une solution temporaire. Le Chef de l’État, s’il veut respecter l’engagement de ramener la paix dans les régions anglophones du pays, devra peut-être revoir sa stratégie, le temps ayant prouvé que la solution armée ne pourra pas régler le problème.

Photo: STRINGER / AFP

2 comments

  1. la vie au potager

    les revendications pacifiques ont connues des aboutissements,reste a resoudre le conflit armé.comment envisager un dialogue lorsque les leaders sont detenus?

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